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Adieu, Libreville

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La Cuisine Diplomatique - Alexander Khodakov

Par Alexander Khodakov

Je devais quitter Libreville en été 1979, mais le département du personnel ne me trouvait pas de remplaçant. Cela a trainé jusqu’au mois de décembre. Finalement la date du départ est fixée. On devait passer quelques jours à Brazzaville en attendant le vol sur Moscou. On y arriverait le 30 décembre, à la veille de la St. Sylvestre. […]

Nous ne sommes pas trois, mais quatre. En dehors de notre propre enfant nous devons ramener à Moscou la fille du cuisinier. Elle va rester avec sa famille, le temps est venu pour elle d’aller à l’école. Elle a huit ans, son caractère est plutôt flegmatique, mais elle est assez grande pour son âge. Un peu enveloppée, comme son papa. Quand on voyage avec un enfant qui n’est pas le vôtre, on se fait toujours des soucis, même quand ce voyage est parfaitement légitime.

Nous avons demandé à l’ambassade à Brazzaville de venir nous chercher en microbus, en expliquant très clairement que nous avons beaucoup de bagages. Ayant atterri à Brazzaville, on se retrouve à l’aéroport où règne la plus grande effervescence. On s’attend de nouveau à une attaque des mercenaires de l’autre côté de la rivière, l’aéroport est encore plein de gens, armés ou sans armes, qui se déplacent dans le chaos. Toutefois, grâce à notre sang-froid, on arrive assez vite à la sortie.

Sur le parking de l’aéroport au lieu de microbus nous trouvons un Moskvitch-412, une voiture assez petite et étroite. À son volant dort paisiblement le nouveau secrétaire de la section consulaire, Dimitri, ou Dima tout court qui remplace Alexey le Rouquin. Si ce dernier buvait, Dima dort.

Quand Alexey était sobre, il était très diligent. L’état d’agrégation de Dima est toujours le même – à moitié endormi, vaseux. Je le réveille et on fait entrer de force ce qui ne se prête pas à entrer – on met les bagages dans la voiture. Les valises et les boîtes sont dans le coffre qui ne ferme pas, encore des boîtes sur le siège arrière, les enfants sont coincés entre elles. Ma femme s’assoit sur mes genoux sur le siège avant. Si un policier routier ou un gendarme voyait ces jardins de Sémiramis, il aurait une crise cardiaque et nous une solide amende. Heureusement pour nous, la police routière n’existe pas à Brazzaville. Nous partons à destination de l’hôtel.

L’hystérie à cause d’une attaque éventuelle était cette fois plus sérieuse que jamais. À chaque kilomètre il y avait une patrouille armée qui exigeait que l’on s’arrête et montre nos papiers. En voyant les plaques diplomatiques et la carte de Dima, les patrouilles se calmaient et nous souhaitaient même bon voyage. Les contrôles deviennent une routine, rien ne promet de surprises. À ce moment-là Dima se relaxe et reprend son état habituel. Arrivé à la hauteur de la patrouille suivante, il décide, Dieu sait pourquoi, qu’on lui fait signe par gestes de passer sans s’arrêter. Il passe, on entend immédiatement derrière des cris à tue-tête ; je crois même entendre des claquements de culasses. Les patrouilleurs, ou plutôt des patrouilleuses, car ce sont des femmes de la milice populaire, accourent vers la voiture et nous visent avec leurs kalashnikovs. L’une d’elles tient sa mitraillette à un demi-mètre de mon ventre, le doigt sur la gâchette. Elles crient toutes en même temps, mais de ces cris on peut comprendre qu’elles exigent les papiers. Au lieu d’obéir, Dima, complètement ahuri, se met à balbutier :

  • « Madame! Je n’ai rien fait!
  • Monsieur! Vos papiers! Pourquoi vous ne vous arrêtez pas?
  • Mais madame, je croyais que vous m’aviez fait signe de passer…
  • Vos papiers!
  • Montre ta carte, espèce d’abruti! » – dois-je gueuler à mon tour.

Enfin Dima montre sa carte et on nous laisse continuer notre chemin, mais d’abord elles nous disent ce qu’elles pensent à notre sujet, avec des expressions bien senties; elles nous conseillent instamment de ne plus faire d’erreurs pareilles, car cela peut se terminer mal. Le reste du voyage se passe sans entraves, nous arrivons à l’hôtel et allons immédiatement au lit. Il est presque trois heures du matin.

Information sur l’auteur:

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Alexander Khodakov

Né à Moscou en 1952, Alexander Khodakov fait ses études de droit  à  l’Institut de relations internationales de Moscou (MGIMO). Après trois ans à MGIMO, il fait un an d’études à l’université d’Alger. En 1974 il est recruté par le Ministère des affaires étrangères de l’URSS et part en poste au Gabon. Rentré à Moscou, il intègre le département juridique du Ministère. De 1985 à  1991 il travaille  à New York au sein de la mission permanente de l’URSS auprès des Nations unies. De retour à Moscou en 1991 il revient au département juridique, dont il devient directeur en 1994. Quatre ans plus tard il est nommé ambassadeur de Russie aux Pays-Bas et représentant permanent auprès de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC). En 2004 il passe au service de l’OIAC comme directeur des projets spéciaux et ensuite secrétaire des organes directifs. En 2011 il rejoint le greffe de la Cour pénale internationale et exerce pendant trois ans comme conseiller spécial pour les relations extérieures.

Depuis 2015 il vit  à La Haye, avec sa famille. Il a écrit Cuisine Diplomatique un vibrant récit des histoires inédites sur sa vie diplomatique.

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