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La diplomatie publique: Jamais trop tôt

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Photo Michael Morin Smll

Par Michaël Morin

La diplomatie est généralement considérée comme distante, éloignée et hiérarchisée pour les gens ne travaillant pas dans le domaine des relations internationales. Aujourd’hui, la diplomatie paraît un peu plus transparente comparativement à un siècle et demi avant. Cependant, la complexité croissante du monde amène à devoir repenser des formes de pourvoir ainsi que leur détermination et leur perception, y compris en diplomatie. Depuis le milieu du vingtième siècle, la diplomatie publique (en anglais « public diplomacy ») a été développée par les chercheur universitaires, dont Joseph Nye[1], des intervenants gouvernementaux, comme aux États-Unis[2], et non-gouvernementaux, comme le Foreign Policy Centre du Royaume-Uni[3], pour faire état des capacités et de la puissance des États et ainsi développer des stratégies.

La diplomatie publique est une branche de la diplomatie qui a trait aux stratégies d’un État dans sa politique étrangères et qui vise à comprendre, informer, arriver à des compromis et à influencer la société civile d’un autre État[4]. Dans la pratique des relations internationales, elle se manifeste par divers outils, dont : la diplomatie culturelle, la puissance dite « tranquille » (en anglais « soft power ») et la diplomatie digitale. Il est à noter que d’autres outils pourraient se manifester ou être à la disposition d’États que ce soit, par exemple, des relations de connaissances entre diplomates. Des outils connexes à la diplomatie publique pourraient aussi être hors du contrôle d’un ou des États et avoir une influence diplomatique culturelle. Des exemples de ces outils peuvent se trouver dans les entreprises et firmes multinationales ainsi que dans le milieu culturel comme les institutions muséales.

La diplomatie publique se présente comme une approche ouverte, non-hiérarchisée, qui se soucie de cultiver une opinion publique favorable et qui conserve les canaux de communications même lorsque les relations diplomatiques sont affectés ou rompues[5]. Elle est ouverte et non-hiérarchisée en touchant les relations et communications entre les populations et leurs gouvernements, et non seulement entre gouvernements comparativement à la diplomatie traditionnellement reconnue. Elle se veut aussi innovatrice, plus démocratique, inclusive, effective et transparente[6]. Avec de tels éléments constituant et définissant la diplomatie publique, comment la diplomatie conduite par les gouvernements peut-elle en tirer les bénéfices et les avantages? Y aurait-il des périodes et des moments où mettre en œuvre une diplomatie publique?

Depuis le référendum du 24 juin 2016, où une majorité de l’électorat britannique a voté pour la sortie de l’Union européenne, le gouvernement du Royaume-Uni a enclenché son processus de sortie appelé « Brexit ». Le processus complexe, qui s’est poursuivi durant des années, a mené à l’adoption d’un accord commercial post-Brexit entre les deux parties, qui est en application depuis le 1er mai 2021. Récemment, en septembre et octobre 2021, le Royaume-Uni a connu des pénuries d’essence et de produits de consommation sur les étagères des magasins. À ces pénuries, les problèmes dans la chaîne de distribution de produits alimentaires se sont ajoutés, dont le porc[7].

Un facteur soulevé sur ces problèmes est le manque de personnel pour assurer le transport de ces marchandises et la chaîne de distribution[8]. Afin de répondre à ce manque, le gouvernement du Royaume-Uni a récemment mobilisé l’armée et annoncé l’émission de nouveau visas pour des travailleurs étrangers. Cependant, le secteur des transports rapporte encore un manque de personnel[9]. En effet, le gouvernement britannique avait annoncé en septembre 2021 l’émission de 5 000 visas de travail pour le secteur des transports alors qu’à peine 300 demandes ont été reçue et 20 visas ont été émis un mois plus tard[10].

En considérant que l’émission de nouveaux visa s’adresse aux travailleurs étrangers, il y a là un secteur où la diplomatie publique aurait été pratique à mettre en place, en amont, pour donner l’image d’une économie britannique croissante et attractive qui encouragerait les travailleurs et travailleuses à s’y joindre. Peut-être qu’avec l’image publique véhiculée par le Brexit, cadrant avec un désir de contrôle plus serré des frontières britanniques, puis avec des processus douaniers plus complexes que sous l’Union européenne, cela semblerait avoir causé un phénomène de repoussoir pour des travailleurs et travailleuses de pays membres de l’Union européenne.

Ainsi, pour tenter de prévenir ou d’en atténuer les impacts négatifs sur l’économie britannique, la diplomatie du Royaume-Uni aurait pu pousser le développement d’une stratégie de communication visant des candidates et candidats potentiels pour travailler dans ces secteurs ciblés de l’économie, qui comprendrait l’utilisation de médias sociaux. Ainsi, en rétrospective, la mise en œuvre d’une diplomatie digitale aurait été judicieuse. De ces populations dans les États membres de l’Union européenne proviendrait certainement la majeure partie du personnel requis pour appuyer la chaine de distribution des produits de consommation au marché britannique. À cet effet, une stratégie s’adressant aux population de ces États aurait été bénéfique au Royaume-Uni pour attirer la main d’œuvre nécessaire tout en appuyant l’établissement et le maintien de relations constructives avec l’Union européenne.

En conclusion, la diplomatie publique est un concept qui permet d’apporter une perspective sur les stratégies et les résultats d’un État dans sa politique étrangère. Avec ses concepts d’ouverture, la mise de côté de la hiérarchie, l’inclusion et la démocratie, la mise en place d’une telle diplomatie présente un défi pour tous les gouvernements. Une approche gouvernementale comprend habituellement une vision, la mise en place d’objectifs, de structures de rapport et d’imputabilité. Ces structures sont des réflexes institutionnels et demandent une certaine hiérarchisation. Le Brexit et ses impacts ne se limitent pas seulement à la conduite de la politique étrangère, mais aussi aux conditions politiques domestiques au Royaume-Uni et, évidemment, aux conditions de la pandémie actuelle. Néanmoins, dans le cas du Brexit et des problématiques récentes dans la distribution de produits de consommation, il y a là un domaine où la diplomatie publique aurait pu être utile avant, de manière préventive, afin d’apporter des solutions en temps opportun. Il n’est jamais trop tôt pour le faire. Ceci demande de mobiliser des habiletés et talents informels, surtout en communication, et pour un public plus large que la diplomatie traditionnelle. La diplomatie publique est cruciale et inévitable pour tous les États dans un monde d’une complexité croissante.


Sur l’auteur:

Photo Michael Morin Smll

Michaël Morin, Analyste principal des politiques, Direction générale de la Politique stratégique, Agence des services frontaliers du Gouvernement du Canada.

Note : Les opinions exprimées dans cet essai n’engagent que l’auteur à titre personnel et ne constituent pas la position du gouvernement du Canada. Cet essai est un exercice produit dans le cadre d’une formation sur la diplomatie publique donnée en septembre et octobre 2021 par Eugene Matos, ministre-conseiller de l’ambassade de la République Dominicaine à Haïti.


[1]     NYE, Joseph. « Public Diplomacy and Soft Power », The ANNALS of the American Academy of Political and Social Science, vol. 616, no 1, 1er mars 2008, p. 94‑109.

[2]     UNITED STATES. STATE DEPARTMENT. POLICY COORDINATING COMMITTEE. U.S. National Strategy for Public Diplomacy and Strategic Communication, June 2007, 34 p. [https://2001-2009.state.gov/documents/
organization/87427.pdf] (consulté le 22 septembre 2021).

[3]     LEONARD, Mark (dir.), Catherine STEAD et Conrad SMEWING. Public Diplomacy, The Foreign Policy Centre, London, United Kingdom, 2002, 101 p. [https://fpc.org.uk/wp-content/uploads/2006/09/35.pdf] (consulté le 23 septembre 2021).

[4]     MATOS, Eugenio. Mastering Public Diplomacy, [Séance de formation en ligne], du 22 septembre au 20 octobre 2021, Institut de développement professionnel, Université d’Ottawa.

[5]     ibid.

[6]     ibid.

[7]     •     THOMPSON REUTERS. « British pork industry warns of massive pig cull due to labour shortages », CBC News, 1er octobre 2021. [https://www.cbc.ca/news/world/uk-pork-industry-labour-shortages-1.6196452] (consulté le 2 octobre 2021).

       •     PLUMMER, Robert. « Shortage problem: What’s the UK running low on and why? », BBC News, 2021. [https://www.bbc.com/news/business-58721085] (consulté le 14 octobre 2021).

[8]     ibid.

[9]     SYAL, Rajeev. « Emergency visa scheme extended in major U-turn by Boris Johnson », The Guardian, 1er octobre 2021. [https://www.theguardian.com/business/2021/oct/01/overseas-food-and-fuel-drivers-to-get-visas-in-major-u-turn-by-boris-johnson] (consulté le 3 octobre 2021).

[10]   ALLEGRETTI, Aubrey. « Just 20 UK visas issued to foreign lorry drivers, government admits », The Guardian, 13 octobre 2021. [https://www.theguardian.com/business/2021/oct/13/just-20-uk-visas-issued-to-foreign-lorry-drivers-government-admits] (consulté le 13 octobre 2021).

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