Monday, November 18, 2024

Justice et paix internationales : la contribution de la République Dominicaine

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 Par S.E. M. Philippe Couvreur, Greffier de la Cour internationale de Justice.

 

La République dominicaine comptait parmi les quarante-quatre États représentés lors de la seconde Conférence internationale de la Paix, tenue à La Haye du 15 juin au 19 octobre 1907. Par sa présence, aux côtés de seize autres Etats d’Amérique latine et des Caraïbes (Argentine, Bolivie, Brésil, Chili, Colombie, Cuba, Equateur, Guatemala, Haïti, Mexique, Nicaragua, Panama, Paraguay, Pérou, El Salvador et Uruguay), elle contribua à la composition géographiquement plus équilibrée de cette conférence, le Mexique ayant été le seul, parmi ces pays, à être invité à participer à la première Conférence internationale de la Paix en 1899.

Ces deux réunions internationales ont représenté une nouvelle forme de diplomatie, les discussions n’ayant pas eu pour objet de régler les suites d’un conflit international, à l’instar des conférences connues jusqu’alors, mais au contraire de consolider et de développer le droit international, ainsi que de limiter la course aux armements, en vue de prévenir de futurs conflits et maintenir la paix.

Les Conférences de La Haye ont donné naissance à plusieurs conventions internationales d’importance majeure, visant à réglementer les méthodes de guerre — et posant à cet égard les bases du droit des conflits armés et du droit international humanitaire moderne —, et à institutionnaliser et encourager le recours aux modes de règlement pacifique des différends internationaux entre Etats.

Marqués par les interventions étrangères et les conflits au cours de leur histoire, et profondément attachés aux principes d’indépendance et d’égalité des Etats, les pays d’Amérique latine représentés à La Haye en 1907 furent de fervents avocats du développement de l’arbitrage international, lequel devait représenter, sinon le seul moyen légitime de règlement obligatoire des différends entre Etats, du moins le préalable impératif au recours aux armes.

La République dominicaine était de ces Etats si attachés à l’arbitrage international que le principe en était inscrit dans sa propre Constitution avant même qu’il ne soit consacré dans des conventions internationales générales, et à une époque, faut-il le rappeler, où la guerre était encore un moyen admis de régler les conflits. La Constitution de la République Dominicaine adoptée en 1880 disposait ainsi que « les pouvoirs chargés par la loi de déclarer la guerre ne devront pas le faire sans avoir auparavant proposé l’arbitrage d’un gouvernement ami ».

C’est à la République dominicaine que revient le mérite d’avoir formulé en premier, lors de la Conférence de 1907, la proposition la plus audacieuse qui soit imaginable : rendre l’arbitrage obligatoire pour tous les Etats, et pour tout type de différend pouvant survenir entre eux, dès lors qu’ils ne pourraient les régler par des moyens diplomatiques. La délégation dominicaine ne se nourrissait pas d’illusions et reconnaissait, en exprimant ce vœu en faveur de l’arbitrage international obligatoire et sans restriction, que le jour n’était alors pas encore arrivé « où toutes les nations, harmonisant leurs divers intérêts avec les intérêts les plus hauts de l’humanité et de la vraie civilisation du monde, [pourraient se mettre] d’accord sur le mode de réaliser une telle aspiration ». Aussi, et en dépit des progrès continus de l’arbitrage international dans la pratique internationale au XIXe siècle, les Etats réunis à La Haye en 1907 se sont-ils bornés à déclarer, dans l’Acte final de la Conférence, leur foi dans le principe de l’arbitrage obligatoire, sans s’engager formellement et de manière générale à y recourir à l’avenir.

La délégation de la République dominicaine, composée de Francisco Henriquez I Carvajal, ancien Ministre des affaires étrangères et futur éphémère président de la République (1916), et de Apolinar Tejera, alors recteur de l’Institut professionnel de Saint Domingue, s’est par ailleurs illustrée en défendant le principe d’une très large interdiction du recours à la force pour le recouvrement de réclamations pécuniaires. Ce principe, élaboré par le célèbre juriste et ministre des affaires étrangères argentin, Luis Drago, fut inscrit dans la fameuse Convention « Drago-Porter », adoptée par la seconde Conférence de La Haye. Cette Convention constitua le premier jalon vers l’interdiction générale de l’emploi de la force entre Etats, consacrée au lendemain de la seconde Guerre mondiale.

Après que son territoire fut une nouvelle fois occupé (1916-1924), la République dominicaine rejoignit la Société des Nations en septembre 1924. Fidèle aux idéaux de la justice internationale qu’elle avait défendus à La Haye en 1907, Saint Domingue souscrit alors à la compétence obligatoire de la Cour permanente de Justice internationale, première véritable juridiction permanente et universelle à voir le jour, à laquelle la Cour internationale de Justice a succédé en 1946. Membre fondateur de l’Organisation des Nations Unies, la République dominicaine fait partie des soixante et onze Etats qui acceptent à ce jour, de manière générale et par avance, que tous leurs différends juridiques puissent être soumis au jugement, obligatoire et définitif, de la plus haute juridiction internationale.

Le vœu qu’exprimait la République dominicaine, il y a plus d’un siècle à La Haye, de voir l’ensemble des Etats adhérer au principe d’une justice internationale obligatoire ne s’est certes pas pleinement concrétisé à ce jour ; sa contribution à la réalisation des premiers pas effectués dans cette direction doit néanmoins être saluée.

 

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