Conversation avec S.E. M. Sidiki Kaba, Président de l’Assemblée des Etats Parties
By Diplomat Magazine.
Quelles sont les réalisations les plus marquantes de votre mandat ?
Au cours de mon mandat, je me suis attaché à promouvoir le raffermissement de la relation entre la Cour pénale internationale et l’Afrique ainsi que la complémentarité.
Je me suis efforcé d’encourager un dialogue franc et constructif entre les Etats africains ayant des griefs envers la Cour et l’Assemblée des Etats Parties de la CPI. Il était nécessaire de répondre aux sources du malaise qui existe entre la Cour et certains Etats africains qui l’accusent de néocolonialisme. À ce propos, je me réjouis que l’Afrique du Sud et la Gambie aient renoncé à se retirer du Statut de Rome, le traité de la Cour, et aient réaffirmé leur attachement à la CPI. Toutefois, nous devons poursuivre le dialogue pour raffermir davantage les rapports entre la Cour et ses Etats Parties en général.
S’agissant de la complémentarité, je me suis engagé à promouvoir ce principe essentiel auprès de tous les Etats, qu’ils soient Parties ou non au Statut de Rome. En effet, la complémentarité doit être l’épine dorsale de la lutte contre l’impunité car la justice pénale internationale ne prime pas sur le droit national mais complète ses faiblesses lorsque les systèmes judiciaires nationaux ne disposent pas des capacités nécessaires ou n’ont pas la volonté pour juger ces crimes de masse.
La CPI apparaît donc comme un recours contre l’Etat qui faillirait à ses obligations internationales et il est donc souhaitable et avantageux que les Etats remplissent leurs obligations parce que la répression nationale est la règle, la répression internationale l’exception
Quelles sont, selon vous, les principaux défis auxquels est confrontée la Cour ?
Alors que la Cour atteint l’âge de la maturité, 2018 marquera le 20e anniversaire de l’adoption du Statut de Rome. Elle doit maintenant asseoir son statut de juridiction indépendante et notamment répondre à deux grands défis : la coopération et l’accusation de politisation.
La coopération des Etats Parties est primordiale alors que la Cour ne dispose pas de force de police. Sans coopération, la Cour ne peut s’acquitter pleinement de son mandat de rendre justice aux victimes et de mettre fin à l’impunité pour les crimes graves qui choquent la conscience humaine.
Quant à la perception d’une institution politisée, il faut y répondre. Certes, comme toute œuvre humaine, la CPI n’est pas parfaite mais une imperfection juridique reste toutefois préférable à un vide juridique, d’où la nécessité et la pertinence incontestable de cette institution pour répondre à l’exigence de justice et de réparation des torts subis par les millions de victimes d’atrocités.
C’est pour cela que la Cour, lorsqu’elle est saisie, doit aller au bout de sa mission qui est de rendre la justice, à l’abri des influences politiques, avec l’assurance de la coopération de tous les États Membres.
Que peut-on faire pour continuer d’avancer sur la voie de l’universalité alors que le nombre d’accession au Statut de Rome stagne ?
Ma conviction reste que la ratification universelle du Statut de Rome et son incorporation effective dans les systèmes internes, ainsi que la coopération des Etats parties et non parties, sont d’une importance capitale pour la lutte contre l’impunité.
La promotion de l’universalité du Statut de Rome doit s’appuyer aussi bien sur les Etats Parties que sur les Etats non Parties mais aussi sur les organisations intergouvernementales, la société civile.
Il est aussi aujourd’hui nécessaire d’atteindre la ratification universelle du Statut de Rome, de rendre la Cour compétente partout dans le monde afin de lutter efficacement et effectivement contre l’impunité des crimes graves relevant de sa compétence.
Pour cela, la tenue régulière des réunions de coordination avec tous les acteurs et l’élaboration d’un plan et d’une stratégie d’action pour les prochaines années, impliquant tous les Etats, tous les acteurs y compris les ONG et la société civile aux séquences d’exécution de ce plan est une nécessité.
Le dialogue avec les Etats asiatiques, continent le moins représenté au sein de l’Assemblée, doit aussi se poursuivre avec l’appui de la société civile afin de promouvoir les valeurs et principes du Statut de Rome qui sont au service des victimes.
Lors de la négociation du Statut de Rome, en tant que membre de la FIDH, vous avez beaucoup œuvré pour la reconnaissance des droits des victimes. Comment voyez-vous la place des victimes aujourd’hui au sein de la justice pénale internationale ?
La participation des victimes est primordiale dans la justice pénale internationale car il ne peut y avoir de paix sans justice. La question de l’aide et de la protection des victimes nécessite à cet égard une attention toute particulière et appelle un engagement politique, l’implication de tous les acteurs concernés au niveau national, régional et international mais aussi des organisations de la société civile et les organisations de victimes, une formation des acteurs de la justice mais une cohérence dans l’action.
Les communautés fracturées par les conflits ne peuvent pas se reconstruire si les victimes ne sont pas entendues lors des audiences. La Cour pénale internationale est la première juridiction pénale internationale à donner une voix aux victimes en permettant leur représentation lors des audiences et est également la première juridiction pénale internationale à accorder des réparations aux victimes. Ainsi, la Cour constitue une réponse à l’exigence de justice et de réparation pour les victimes des atrocités.
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Sidiki Kaba
S.E. M. Sidiki Kaba est élu Président de l’Assemblée des Etats Parties de la Cour pénale internationale en décembre 2014. Garde des Sceaux et ministre de la Justice du Sénégal depuis 2013, il est nommé Ministre des Affaires Etrangères et des Sénégalais de l’extérieur en 2017.