Par M. François Roux. Avocat Honoraire. Ancien Chef du Bureau de la Défense au Tribunal Spécial pour le Liban. 2009-2018.
La Justice Pénale Internationale est en grande difficulté, et même en position d’accusée.
Critiquée pour sa lenteur, son coût, ses décisions, ses errements.
Comme je l’ai fait à plusieurs reprises pour des accusés devant les Tribunaux Pénaux Internationaux je veux bien prendre sa défense… si elle plaide coupable !
Si elle accepte de reconnaître ses erreurs et mieux, de les corriger.
Ce n’est pas si difficile. Le grand écrivain français Albert Camus disait « mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde ».
Alors nommons-les. La Justice internationale pénale souffre d’un vice originel : le système de procédure accusatoire dans lequel on l’a plongée.
Outre les systèmes régionaux et traditionnels que nous aurions bénéfice à mieux connaître et utiliser, particulièrement en ce qui concerne les réparations dues aux victimes, il est constant que le monde se divise en deux grands systèmes nationaux de droit pénal :
La common law (adversorial ou accusatoire) d’une part et le droit romano-germanique (inquisitoire) d’autre part.
Voici comment le Juge canadien Baudouin les résume dans la préface de l’excellent ouvrage des Professeurs Beliveau et Pradel « La justice pénale dans les droits canadiens et français : étude comparée d’un système accusatoire et d’un système inquisitoire ».
« On pourrait presque, dans un certain sens, caricaturer les deux régimes de la façon suivante : le critère d’excellence du système français reste la découverte de la vérité à travers une procédure inquisitoire, visant précisément à faire la lumière, toute la lumière, sur l’affaire et à permettre au magistrat de bien saisir l’individualité du délinquant ; le « bon » procès au Canada est, au contraire, celui au cours duquel les règles de preuve et de procédure ont été scrupuleusement respectées et donc où leur principal but, soit le respect des droits individuels de l’accusé, a été atteint. On pourrait presque affirmer que, dans un certain sens, la recherche de la vérité reste au second plan. La mesure du succès est donc très différente parce que les règles de procédure et de preuve n’ont aucune commune mesure ».[1]
Le diagnostic est ainsi assez simple.
Alors qu’à la suite des tragédies que représentent les crimes de masse, les Etats créent des juridictions internationales en disant aux populations traumatisées « on va rechercher la vérité sur ce qui s’est passé et on va indemniser les victimes », on plonge ces juridictions dans un système de procédure accusatoire, de common law, … qui ne cherche pas principalement la vérité, qui ne reconnaît pas les victimes comme parties au procès pénal, qui n’entend pas la voie de l’accusé, puisque s’il veut s’exprimer il ne peut le faire que comme un témoin et donc en prêtant serment, ce que son défenseur lui déconseille fortement. C’est ainsi que des accusés ont assisté à leur procès pendant des années en observateurs, privant les victimes et les Juges de leur précieuse parole pour comprendre ce qu’il s’est passé.
LA question que nous devons tous nous poser après les 25 premières années de la Justice Pénale Internationale est bien celle –ci : le système pénal de common law ou système adversorial, qui repose sur un affrontement entre l’avocat de l’accusation et l’avocat de la défense devant un Juge arbitre, chacun essayant de gagner sa cause avec des stratégies dissimulées le plus longtemps possible à la partie adverse, est-il véritablement adapté aux jugements de crimes de masse avec des milliers de victimes ?
Nous savons que les tribunaux de pays de droit romano germanique, en Europe et en Amérique latine notamment, ont organisé quant à eux des procès dans lesquels de très nombreuses victimes étaient présentes comme « parties civiles » et où les Juges essayaient d’approcher la vérité judiciaire, en donnant la parole aux victimes et aux accusés, sur la base d’un dossier commun aux parties préparé à l’avance par un Juge d’instruction.
Nous savons que des tribunaux internationalisés comme les Chambres Africaines Extraordinaires ont été capables de juger sans retard et avec un coût très réduit Hissene Habré sur la base d’un dossier d’instruction, et d’accueillir au procès des centaines de victimes parties civiles, souvent assistées de juristes de common law intervenant dans le cadre d’ONG des droits de l’homme.
Un autre avenir serait donc possible ?
Aucun des deux systèmes n’est a priori meilleur que l’autre, chacun a ses mérites propres et ses qualités incontestables, et aucun n’est sans faille.
Mais en tant que juristes internationaux il est de notre responsabilité d’inventer LE système de droit pénal international de demain en empruntant à chacun des deux grands systèmes nationaux le meilleur de ses procédures et de ses pratiques, afin d’être en capacité de juger au niveau international des crimes de masse, qui par définition, impactent l’humanité toute entière.
C’est à ce travail que se consacrent depuis plusieurs années des juristes internationaux provenant des deux grandes cultures juridiques.
Ce travail a été présenté en 2016 dans la Grande salle de Justice du Palais de la Paix à La Haye, et en 2017 à la Cour Suprême espagnole sous le titre : « Construire dès aujourd’hui la Justice Pénale Internationale du XXII° Siècle, projet Solpérières ».
Il est actuellement en voie de finalisation et fera prochainement l’objet de nouvelles présentations publiques.
Il incorpore notamment deux textes internationaux récemment élaborés.
La Déclaration de Paris sur l’efficacité de la Justice Pénale Internationale adoptée le 16 Octobre 2017, qui établit des principes de compétence et de déontologie indispensables pour les Juges des Juridictions Pénales Internationales.
Le Code de Nuremberg, présenté dans la salle historique du procès de Nuremberg le 7 Novembre 2017 en présence des plus grandes organisations internationales d’avocats, qui a vocation à établir un code de déontologie commun à tous les avocats intervenant devant les Juridictions Pénales Internationales, quel que soit leur pays d’origine.
En conclusion
Attendu que la Justice Pénale Internationale représente un immense progrès pour l’humanité.
Qu’elle est encore très jeune, un quart de siècle, et que si elle connaît aujourd’hui des difficultés réelles, elle a en son sein des juristes hautement qualifiés, qui croient en elle, en sa mission, et qu’elle a donc les capacités de mettre en place rapidement les remèdes qui s’imposent et ne sauraient être plus longtemps différés.
Attendu qu’elle a plaidé coupable de ses erreurs,
Attendu qu’elle a fait part de sa bonne volonté à se réformer rapidement,
En conséquence, j’ai l’honneur de solliciter pour elle, devant le Tribunal de l’histoire, le bénéfice d’un sursis… avec mise à l’épreuve et obligation de se soigner.
Et ce sera Justice.
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Auteur François Roux, Avocat Honoraire. Ancien Chef du Bureau de la Défense au Tribunal Spécial pour le Liban. 2009-2018.
Dernier ouvrage paru : “Justice Internationale, la parole à la Défense” in Indigène Editions. Français/Anglais.
1 Pierre Béliveau et Jean Pradel, La justice pénale dans les droits canadien et français : Étude comparée d’un système accusatoire et d’un système inquisitoire, 2e édition, Éditions Yvon Blais, 2007, préface, p. xiv.