Wednesday, December 18, 2024

Adalinda

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DIPLOMAT MAGAZINE “For diplomats, by diplomats” Reaching out the world from the European Union First diplomatic publication based in The Netherlands. Founded by members of the diplomatic corps on June 19th, 2013. "Diplomat Magazine is inspiring diplomats, civil servants and academics to contribute to a free flow of ideas through an extremely rich diplomatic life, full of exclusive events and cultural exchanges, as well as by exposing profound ideas and political debates in our printed and online editions." Dr. Mayelinne De Lara, Publisher

Par Alexander Khodakov

Elle est de petite taille, très jeune et très belle. Une beauté méridionale : des cheveux châtain foncé, des yeux bruns, le teint un peu basané. Une bouche sensuelle, mais un regard timide. Je l’aime bien, non, plus que ça. Je suis sur le point de tomber amoureux. Mais ma mère me montre un poing menaçant: n’y pense même pas, elle n’a pas encore 18 ans.

Cette jeune fille s’appelle Adalinda, elle est Nicaraguayenne, venue à Moscou faire ses études à l’Université de l’Amitié des Peuples Patrice Lumumba. Elle a obtenu une bourse grâce à son oncle qui est un membre éminent du parti communiste du pays. Ma mère fait sa connaissance à l’hôpital où elle se fait traiter pour une crise de foie; Adalinda y est admise d’urgence avec une appendicite. Elles se retrouvent dans la même chambre, ma mère se sent déjà mieux, tandis qu’Adalinda vient de se faire opérer, est effrayée et désorientée. Elle vient d’arriver à Moscou et ne parle pas encore russe. Ma mère ne connaît que quelques mots d’espagnol, mais arrive d’une façon miraculeuse à communiquer avec la jeune fille. Elle la prend vite sous son aile. Adalinda qui manque visiblement de chaleur familiale s’attache à ma mère qu’elle appelle « doña Irma » ; celle-ci l’invite à venir chez nous aussitôt qu’elle aura quitté l’hôpital.

C’est ainsi que la jeune Nicaraguayenne fait son apparition au sein de notre famille. Elle nous rend volontiers visite, d’autant plus que ma mère, étant un vrai cordon-bleu, lui donne toujours quelque chose de bon à manger. Adalinda se délecte, car au foyer de Lumumba elle ne mange pas toujours à sa faim, les bourses des étudiants de l’Université Lumumba sont assez modestes. Et une jeune fille a le désir naturel d’être bien vêtue…

Je suis encore en deuxième année et mon espagnol n’est pas très avancé. Adalinda m’aide à faire mes devoirs, on essaie de se parler en espagnol, avec plus ou moins de succès. Elle fait aussi des progrès en russe et nos conversations se remplissent de plus de sens. On fait de temps en temps des promenades en ville; je vois que les garçons la regardent avec convoitise et cela me fait plaisir.

On ne se voit pas pendant les vacances d’été. Quelques mois plus tard ma mère me raconte, indignée, qu’Adalinda rencontre un problème avec l’amicale des Nicaraguayens. Elle était partie en Suède pour y gagner un peu d’argent en faisant la plonge dans les restaurants. À son retour l’amicale l’accuse d’avoir participé ainsi à l’exploitation capitaliste! Ces communistes inébranlables veulent la chasser du parti communiste nicaraguayen! (Eh oui, elle est membre du parti, bien qu’elle vienne à peine d’atteindre 18 ans). Ce sera la fin de ses études à Moscou. Ma mère s’apprête à aller voir le président de l’amicale pour défendre Adalinda, mais au bout d’un moment la raison revient aux dirigeants de cette association et l’affaire est close par un blâme.

Comme je m’en vais en Algérie, je ne vois pas mon amie pendant presqu’un an. Après mon retour je me marie et quitte le nid familial, donc, les occasions de la voir se réduisent presqu’à zéro. Et puis, je suis un homme marié…

Beaucoup plus tard ma mère me fait une confession. Adalinda s’était éprise de moi à en perdre la tête. Tandis que j’étais en Algérie, elle m’écrivait des lettres d’amour et les donnait à ma mère, car les lettres devaient passer par le ministère des Affaires étrangères. (Nous n’étions pas autorisés à nous servir de la poste ordinaire).[1] Ma mère ne les envoyait nulle part. Elle savait que j’éprouvais une sympathie pour Adalinda et voulait à tout prix éviter une relation entre nous deux.

Je ne peux pas lui en vouloir. Un mariage avec une étrangère, même membre du parti communiste de son pays, m’aurait fermé pour jamais la porte du ministère des Affaires étrangères. Même des relations amoureuses, si cela s’apprenait au MGIMO, pouvaient ruiner ma carrière. Ma mère voulait me voir ambassadeur. Je suis content d’avoir pu la rendre heureuse. Mais je regrette d’avoir perdu trace d’Adalinda.


[1] Les autorités craignaient que les lettres des citoyens soviétiques ne fussent interceptées et les secrets d’État ne fussent ainsi révélés aux pays occidentaux.

Information sur l’auteur:

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Alexander Khodakov

Né à Moscou en 1952, Alexander Khodakov fait ses études de droit  à  l’Institut de relations internationales de Moscou (MGIMO). Après trois ans à MGIMO, il fait un an d’études à l’université d’Alger. En 1974 il est recruté par le Ministère des affaires étrangères de l’URSS et part en poste au Gabon. Rentré à Moscou, il intègre le département juridique du Ministère. De 1985 à  1991 il travaille  à New York au sein de la mission permanente de l’URSS auprès des Nations unies. De retour à Moscou en 1991 il revient au département juridique, dont il devient directeur en 1994. Quatre ans plus tard il est nommé ambassadeur de Russie aux Pays-Bas et représentant permanent auprès de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC). En 2004 il passe au service de l’OIAC comme directeur des projets spéciaux et ensuite secrétaire des organes directifs. En 2011 il rejoint le greffe de la Cour pénale internationale et exerce pendant trois ans comme conseiller spécial pour les relations extérieures.

Depuis 2015 il vit  à La Haye, avec sa famille. Il a écrit Cuisine Diplomatique un vibrant récit des histoires inédites sur sa vie diplomatique.

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