Par Mariarosaria Ilorio, analyste politique.
Un événement effrayant se répandit au printemps 2020 en partant de Chine, les premiers cas y avaient été détectés en janvier 2020 dans une ville chinoise, la ville de Wuhan. La Chine, lointaine géographiquement, était de façon improviste si proche par la maladie.
Au dĂ©but de la pandĂ©mie, lâincrĂ©dulitĂ© sur la possibilitĂ© que lâĂ©pidĂ©mie arrive en Europe a prĂ©valu. Les individus en parlaient dans les couloirs et dans les rues. En quelques semaines la mort est arrivĂ©e en Europe. La crise Ă©pidĂ©mique est ensuite devenue crise Ă©conomique mondiale.
En dĂ©but mars 2020, nous Ă©tions au bureau et dans la confusion des rĂ©unions annulĂ©es et organisĂ©es et puis renvoyĂ©es : la tension montait sans savoir pourquoi⊠Je sentais la fibrillation: quelque chose allait changer rapidement. Les messages se firent de plus anxiogĂšnes, et parlaient de possible changement de façon de travailler. Puis lâannonce officielle: le Coronavirus, maladie mortelle prenant les voies respiratoires, Ă©tait dĂ©sormais arrivĂ©e en Europe.
LâItalie a Ă©tĂ© le premier pays touchĂ©, ensuite lâEspagne, la France, le Royaume Uni (qui avait niĂ© au dĂ©part ĂȘtre touchĂ© par une telle pandĂ©mie et annonça que les britanniques devaient de prĂ©parer Ă perdre des personnes chĂšres), et puis petit Ă petit toute la planĂšte a sonnĂ© au son de lâĂ©pidĂ©mie.
La pandĂ©mie sâest rĂ©pandue dans le monde entier
Dâabord, les personnes ĂągĂ©es, ensuite aussi les plus jeunes, et puis toute catĂ©gorie dâĂąge Ă©tait dĂ©sormais en danger, selon les annonces officielles. La mort par pandĂ©mie a ainsi fait sa rĂ©apparition en Europe.
Les Ă©poques des Ă©pidĂ©mies qui semblaient dĂ©sormais lointaines sont revenues dans notre quotidien avec de nouveaux mots dâordres. Confinement, distance sociale, masques, morts, hygiĂšne, se laver les mains, restez chez vous, crise Ă©conomique, chĂŽmage massif, pauvretĂ©: une malĂ©diction qui ramĂšne lâhumanitĂ© entiĂšre au cĆur de sa vulnĂ©rabilitĂ© et de sa fragilitĂ©.
Une expérience inattendue
- LâEurope avait oubliĂ© les pandĂ©mies.
- LâEurope avait oubliĂ© la production destinĂ©e Ă la santĂ© publique.
- LâEurope avait oubliĂ© la coopĂ©ration et la collaboration entre les peuples vivant sur le continent.
- LâEurope avait oubliĂ© la solidaritĂ© entre citoyens.
- LâEurope avait oubliĂ© ses infirmiers et ses mĂ©decins.
- LâEurope avait oubliĂ© les Ă©quipements sanitaires.
- LâEurope avait oubliĂ© ses ainĂ©s dans les maisons de repos.
- LâEurope avait oubliĂ© de produire ses produits alimentaires de base.
- LâEurope avait oubliĂ© ses pauvres.
- LâEurope avait oubliĂ© la solidaritĂ© et lâentre aide entre Etats.
- LâEurope sâest oubliĂ©e.
Jâai vĂ©cu cette expĂ©rience de confinement puis avec un esprit dâexpĂ©rimentation et dâobservation des rĂ©actions humaines en situation de crise. Le spectacle a Ă©tĂ© Ă©mouvant, attristant et rĂ©voltant Ă la fois. Je mâexplique.
Au dĂ©but de lâĂ©pidĂ©mie il y a eu lâincrĂ©dulitĂ© de la part des europĂ©ens: dans lâinconscient collectif « une telle pandĂ©mie ne pouvait exister en Europe ».
Le déni
La mort est entrĂ©e dans les discours et dans tous les esprits, mĂȘme les plus cartĂ©siens. IntĂ©ressant voir la peur de la mort et lâinquiĂ©tude de la perte de contrĂŽle rentrer de plus en plus dans le quotidien des europĂ©ens.
Peuples dĂ©sormais habituĂ©s Ă lâillusion de tout contrĂŽler ou Ă avoir lâillusion de tout contrĂŽler. MĂȘme les PrĂ©sidents les plus rĂ©calcitrants ont du accepter lâĂ©vidence: la santĂ© des citoyens devaient passer avant lâactivitĂ© Ă©conomique. Difficile choix.
Les dirigeants comme dans un sursaut de luciditĂ© se sont rendus Ă nouveau compte que sans citoyens en bonne santĂ©, il nây avait pas dâĂ©conomie.
Aux questionnements hésitants:
Santé des citoyens ou activité économique?
Confinement pour protĂ©ger la santĂ© publique ou continuation de lâactivitĂ© Ă©conomique europĂ©enne et mondiale?
Le vrai dilemme entre santé publique et activité économique
Depuis des annĂ©es, nous avions en tant que observateurs politiques exprimĂ© le regret de la tendance de lâEurope et des USA Ă libĂ©raliser les services de santĂ© et en laisser la gestion Ă des acteurs privĂ©s. Nous avions Ă maintes reprises fait noter que les services de santĂ© nâĂ©taient pas des services comme les autres et que la vision libĂ©rale des services de santĂ© Ă©tait un non sens.
Bien avant lâĂ©pidĂ©mie de Coronavirus, de nombreuses voix sâĂ©taient levĂ©es pour attirer lâattention de lâĂ©ventuel dĂ©sastre qui nous attendait.
Personne ne pouvait imaginer que le Corona 19 dĂ©barque dans nos maisons, dans nos sociĂ©tĂ©s nous laissant dĂ©munis dans lâurgence de la mort qui ne regarde personne en face et qui ne se pose pas la question de la pertinence de son action.
Une Ă©vidence sâest posĂ©e Ă moi: la dĂ©shumanisation de lâEurope avait Ă©tĂ© en marche depuis longtemps sans que les citoyens en soient conscients.
Pris dans le jeu de la compĂ©tition et de lâenrichissement, les europĂ©ens avaient perdus de vue le sens de leurs choix politiques et Ă©conomiques.
LâEurope et ses dirigeants nationaux avaient Ă©pousĂ© la doctrine Ă©conomique libĂ©rale fondĂ©e sur lâindividualisme, la course Ă plus dâargent, moins de services dâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral et surtout: lâencouragement Ă lâintĂ©rĂȘt personnel contre lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral.
Pendant la pandĂ©mie, lâEurope a montrĂ© encore une fois ses divisions, ses faiblesses, ses intĂ©rĂȘts nationaux, son manque de fĂ©dĂ©ration et a donnĂ© aux pays membres, en particulier aux pays du Sud de lâEurope lâimpression quâil y avait dĂ©sormais une Europe officiellement Ă deux vitesses : UNE Europe du Nord qui se sent trĂšs sure dâelle-mĂȘme ayant gagnĂ© sur tout les fronts depuis la seconde guerre mondiale ; et UNE Europe du Sud qui serait Ă la traine et Ă laquelle lâEurope du Nord fait remarquer ses faiblesses.
Jâai pensĂ© Ă la division Nord-Sud du monde, entre pays riches et pays pauvres, et Ă la division Nord-Sud en Italie, le Nord riche (lâEurope et les Etats Unis) et le Sud pauvre: la gĂ©ographie serait-elle un facteur de dĂ©terminisme social et Ă©conomique, comme thĂ©orisĂ© dans nombreuses thĂ©ories politiques?
Comme si en quelques sortes ayant été virulente en Italie, la pandémie serait venue « punir » un pays déjà en grandes difficultés économiques depuis des décennies.
Cette pandĂ©mie serait venue donner Ă lâItalie le coup final.
LâEurope serait ensuite venue pour la redresser en utilisant le MĂ©canisme Ă©conomique de stabilitĂ© (MES).
Surprenant
En Ă©coutant les discours des jours qui ont suivis la pandĂ©mie, jâai notĂ© quelques expressions qui mâont Ă©tonnĂ©e: « temporary solidarity » « the mafia is waiting for the EU funds. »
Il y aurait donc une solidaritĂ© europĂ©enne « temporaire » sur laquelle il ne faudrait pas conter sur base continue et Ă long terme. La solidaritĂ© des pays du Nord serait donc temporaire et conditionnĂ©e par des contreparties qui pourraient casser lâEurope en deux, notamment des crĂ©dits avec des intĂ©rĂȘts Ă faibles taux.
Déboussolant
Et puis, pitié !
Tout ce dĂ©bat rappelle la diatribe sur la coopĂ©ration internationale entre prĂȘts et subventions de lâaide au dĂ©veloppement.
Le Nord du monde qui endette le Sud du monde
La remise de la dette. A nouveau des prĂȘts Ă taux faibles qui augmentent la dette existante et ainsi de suite.  Â
Pour ce qui est de la mafia qui attendrait les fonds europĂ©ens, il est temps de clarifier que les organisations mafieuses se sont dĂ©sormais lancĂ©es dans la finance et dans lâinvestissement et le recyclage en Europe et dans le monde.
Ces organisations peuvent en distribuer de lâargent ! Vite et de façon ciblĂ©e, notamment en finançant les segments les plus pauvres de la population. En somme, les organisations mafieuses peuvent « sâoccuper » vite et bien des segments de la population « oubliĂ©s » par le gouvernement italien.
Au fur et Ă mesure de la crise, il sâest dessinĂ© une Europe Ă deux vitessesÂ
MalgrĂ© la crise mortelle ayant touchĂ© les pays du Sud dâabord et du Nord ensuite, lâEurope a montrĂ© au monde que la solidaritĂ© nâĂ©tait pas une valeur sociale et politique fondatrice, mais plutĂŽt une valeur « temporaire » Ă laquelle faire appel Ă gĂ©omĂ©trie variable et Ă certaines conditions.
Incroyable
En pĂ©riode de confinement, de mort, de dĂ©cisions Ă©conomiques difficiles, lâEurope a pris des mois Ă discuter sans arriver Ă un acte fort de prise de dĂ©cision.
Etonnant
La dynamique est devenue chaotique.
Les intĂ©rĂȘts nationaux ont repris le dessus avec les stĂ©rĂ©otypes qui vont avec.
Dommage
Au-delĂ des questions techniques, cette expĂ©rience a mis en exergue lâidĂ©e stĂ©rĂ©otypĂ©e que les pays du Nord de lâEurope se font fait des pays du Sud de lâEurope.
Dans les discours officiels, il en ressort une mĂ©fiance Ă©vidente pour la gestion des fonds europĂ©ens de la part de lâItalie, en particulier, mais aussi de lâEspagne.
Jâai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ©e dâentendre que les Ministres se seraient soit disant mis plus ou moins dâaccord sur les mesures de « solidaritĂ© » Ă prendre, comme le SURE (pour les chĂŽmeurs), le Fonds spĂ©cial pour les entreprises et le MES pour lâItalie (et lâEspagne), un MES qui serait « sans conditions » avec une ligne destinĂ©e uniquement aux dĂ©penses de santĂ©. Mais, sans arriver Ă une action rapide.
Effrayant
La solidarité temporaire
La mort entretemps a fait son cours. Une « solidaritĂ© temporaire » serait aussi Ă la base des mesures discutĂ©es par le Conseil de lâEurope. Concept intĂ©ressant la « solidaritĂ© temporaire » : il mĂ©rite quelques lignes de rĂ©flexions.
La solidaritĂ© europĂ©enne ne pourrait donc pas durer « Ă lâinfini ». Donc une solidaritĂ© limitĂ©e dans le temps serait tout ce que lâEurope peut se permettre.
Pourquoi ?
Est-ce que cette dĂ©finition de solidaritĂ© temporaire voudrait dire que les europĂ©ens ne se sentent pas unis dans le mĂȘme destin ?
Les liens entre peuples européens ne seraient donc pas organiques ?
Si tel est le cas, quel serait alors le facteur commun de lâUnion europĂ©enne ?
Le marché
Nous serions de nouveau dans la dichotomie entre marché et solidarité.
Si la solidaritĂ© nâest pas une valeur unifiant les europĂ©ens qui restent donc dans leur individualisme, quelle autre valeur pourrait ĂȘtre portĂ©e dans la construction sociale pour quâil se justifie une action commune dans cette crise sanitaire et Ă©conomique ?
La coopĂ©ration, vue comme lâensemble des actions tendant Ă prĂ©server lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral ?
Quel serait lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral dans ce cas ?
LâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral serait celui de la continuation de lâUnion europĂ©enne comme processus dâintĂ©gration des peuples et des Etats.
Cet intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral doit ĂȘtre reconnu par les Etats membres de lâUnion quâils soient au Nord ou au Sud.
Pourquoi ?
Parce que si lâUnion nâest pas obligĂ©e dâĂȘtre solidaire, elle ne survivra pas Ă la compĂ©tition interne et au manque de coopĂ©ration. La situation actuelle doit nous faire rĂ©flĂ©chir Ă lâintĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral europĂ©en au-delĂ des intĂ©rĂȘts nationaux.
La valeur argent et lâintĂ©rĂȘt national sont au centre de la sociologie europĂ©enne et mondialeÂ
Je comprends mieux pourquoi les discours médiatiques ont du parler des « héros » et le magazine « TIME » a mis en premiÚre page les photos des « héros » de cette crise sanitaire, notamment les infirmiers et les médecins.
« Héros »
Aurions-nous besoin de « héros » si nous avions gardé en Italie et en Europe le cap tendant à valoriser et à investir dans les secteurs de la santé publique ?
Aurions-nous besoin dâimporter des masques et des ventilateurs, si nous nâavions pas rĂ©duit les dĂ©penses de santĂ© car considĂ©rĂ©es inutiles ?
Je pense quâil nây a pas besoin de « hĂ©ros » : il y a besoin de personnel sanitaire et dâinfrastructures de santĂ© en mesure de faire face Ă la crise sanitaire, en soignant les personnes ĂągĂ©es et les personnes fragiles.
Pourquoi avons-nous eu besoin de « héros » ?
Pourquoi avons-nous dĂ» arrĂȘter des secteurs entiers et confiner tout un pays ?
La réponse que je donne est que le systÚme de santé italien, comme ceux des autres pays européens touchés par la crise, a été mis à mal par des années de désinvestissement systémique initié dans les années 80 et qui a continué dans le temps.
Ce dĂ©sinvestissement a laissĂ© un systĂšme sanitaire au minimum indispensable ne prĂ©voyant pas de crises de lâampleur que nous avons vĂ©cu au printemps 2020 et qui continue encore en 2021.
Nous applaudissions sans aucun doute nos « hĂ©ros » des balcons. Mais avec le recul, il conviendra de sâinterroger sur ce quâil faudra changer, une fois passĂ© ce cap de lâurgence sanitaire.
En somme, la crise sanitaire a fait ressortir les maux de la société européenne et mondiale.
LâĂ©vident conflit entre santĂ© publique contre Ă©conomie capitaliste.
Lâinvestissement dans la santĂ© publique est un une composante de lâactivitĂ© Ă©conomique durable.