Monday, May 6, 2024

Attentats à Paris: remarques concernant la résolution 2249

Must read

Editor
Editor
DIPLOMAT MAGAZINE “For diplomats, by diplomats” Reaching out the world from the European Union First diplomatic publication based in The Netherlands Founded by members of the diplomatic corps on June 19th, 2013. Diplomat Magazine is inspiring diplomats, civil servants and academics to contribute to a free flow of ideas through an extremely rich diplomatic life, full of exclusive events and cultural exchanges, as well as by exposing profound ideas and political debates in our printed and online editions.

Attentats à Paris: remarques concernant la résolution 2249 du Conseil de Sécurité des Nations Unies.

Par Nicolas Boeglin (*).

 
La notion de “légitime défense” en vue de justifier des opérations militaires prises en réponse à des actes d´entités non étatiques rappelle étrangement la référence à la “légitime défense” des Etats-Unis suite aux attentats du 11 septembre 2001: “légitime défense préventive”, “combattants illégaux”, ou encore usage du terme d´”agression” pour qualifier un acte terroriste ou de “guerre” pour qualifier la lutte contre le terrorisme, firent partie de la panoplie d´arguments fort discutables – et discutés – utilisés par les Etats-Unis pour justifier juridiquement leurs opérations suite au 11 septembre 2001 (Note 1).
En ce qui concerne la notion de « légitime défense préventive», on se doit de rappeler que le premier Etat à s´y référer de façon officielle fut Israël en 1981 lors de l´attaque réalisée par la chasse israélienne sur le réacteur nucléaire d´Osirak en Iraq (Note 2). Au mois de mars 2008, un autre allié des Etats Unis, la Colombie, s´y référa également pour justifier son action militaire commando en Equateur.
Dr. Nicolas Boeglin.
Dr. Nicolas Boeglin.

Dans le cas des attentats de Paris du 13 novembre, la qualification d´”acte de guerre” et d´”agression contre notre pays” par les autorités en France semble annoncer des temps difficiles pour certains principes de base du droit international.

On notera au passage que la définition d´ « agression » adoptée par les Etats parties à la Cour Pénale Internationale (CPI) en 2010 à Kampala (soit neuf ans après le 11/S) exclut des actes commis par des entités non étatiques agissant indépendamment d´un Etat: nous renvoyons le lecteur au texte de la dite définition (à laquelle les délégués de la France ont pris part lors de son élaboration avec les représentants de 120 Etats Parties au Statut de Rome).
Concernant la résolution 2249 du Conseil de Sécurité, le représentant de France a également souligné dans son intervention précitée (voir texte complet) que : «Cette résolution encadre notre action dans le cadre du droit international et dans le respect de la Charte des Nations Unies qui est notre bien commun, qui est notre trésor commun. Il offre aussi une garantie de lutte efficace contre le terrorisme transnational ». Si il est vrai que tout spécialiste du droit international se sentira heureux de savoir qu´un Etat considère la Charte des Nations Unies comme un véritable « trésor commun », l´observateur doit faire remarquer que les références à la Charte inclues dans la texte de la résolution 2249 sont le fruit de démarches faites par la Russie: il s´agit d´un détail qui n´a pas semblé intéresser outre mesure les commentateurs.

Dans le communiqué précité des Nations Unies, on lit que ”M. Churkin s’est cependant félicité de ce que des amendements apportés à la demande de sa délégation, notamment les références à la Charte des Nations Unies, figurent désormais dans le texte”. Sur cette autre site concernant les travaux du Conseil de Sécurité, une note relative aux modifications apportées au texte original présenté par la France, précise que la Russie s´est montrée particulièrement insistante sur ce point précis: “Russia insisted that a reference to the UN Charter be inserted and France agreed. It seems most Council members agree that a reference to the UN Charter inserted in this particular operative paragraph can be construed as a reference to article 51 on self-defence, as well as to the principle of state sovereignty”.

On recommande de lire le dispositif 5 du texte de la résolution 2249 tel qu´adopté, et de l´imaginer un court instant sans aucune mention de « notre trésor commun ». Dans un  article  paru sur cette même résolution dans Le Monde, on y lit que: “Concrètement, la résolution 2249 ne donne pas d’autorisation légale à agir militairement en Syrie et en Irak, puisqu’elle n’est pas placée sous le chapitre VII de la Charte des Nations Unies qui prévoit l’usage de la force. Mais le langage employé dans le texte, qui stipule que « toutes les mesures nécessaires » sont permises pour combattre l’EI, laisse la place à l’interprétation, selon les diplomates français».
Comme on le sait, le flou juridique peut s´avérer parfois extrêmement utile, notamment lorsque les règles sont claires. Il nous semble opportun de rappeler que l´usage de la force est prohibé par la Charte des Nations Unies et que seules sont considérées conformes à la Charte les actions militaires menées dans le cadre du Chapitre VII de la Charte, qui inclut la légitime défense. Des spécialistes qui ces jours derniers se sont penchés sur la confusion créée par la résolution 2249 (2015) ont d´ailleurs choisi d´intituler leur article de la manière suivante : «The Constructive Ambiguity of the Security Council’s ISIS Resolution » (Note 3).

Les opérations militaires sur le territoire de la Syrie consistant à bombarder les positions de Daech par la France, les Etats-Unis, le Royaume-Uni, l´Australie, le Canada et d´autres membres de la “Coalition contre ISIS” (lancée par les Etats-Unis en septembre 2014 et qui réunit 60 Etats selon la liste officielle dressée par le Département d´Etat) (Note 4) posent un certain nombre de problèmes juridiques, dans la mesure ou le consentement de la Syrie fait défaut, tout comme une autorisation du Conseil de Sécurité.

Dans le cas de l´Iraq, une lettre du 20 septembre 2014 au Conseil de Sécurité des Nations Unies (voir texte ), précise que: “C’est la raison pour laquelle, conformément au droit international et aux accords bilatéraux et multilatéraux pertinents et tout en veillant au plein respect de notre souveraineté nationale et de notre constitution, nous avons demandé expressément aux États-Unis d’entreprendre une action internationale et de frapper les sites de l’État islamique et ses bastions militaires, l’objectif étant de contrer les menaces constantes auxquelles l’Iraq s’expose, de protéger ses habitants et de permettre à la longue aux forces armées iraquiennes de reprendre le contrôle des frontières nationales“. Dans le cas des opérations militaires de la Russie en Syrie, celles-ci bénéficient du consentement de ce dernier Etat.

Le 15 septembre 2015, l´Australie a lancé ses premières frappes en Syrie (voir  note  de The Guardian) et le 7 septembre 2015, le premier drone britannique, selon cette article paru dans le New York Times, a tué en Syrie trois suspects d´appartenir à Daech, dont deux de nationalité britannique. En ce qui concerne les frappes de la France en Syrie, les premières bombes françaises ont été lancées par ses avions le Dimanche 27 septembre 2015 (voir  note  parue dans Le Monde).

On est en droit de s´interroger sur le point de savoir si la France avait procédé à évaluer les risques encourus avant d´autoriser leur lancement: une réponse de Daech contre la France était prévisible. Le niveau de coordination des attentats du 13 novembre indique que si des mesures préventives ont été prises par les services de renseignements et par ceux travaillant dans le domaine de la lutte contre le terrorisme en France, elles ont eu une efficacité limitée.  En ce qui concerne le Canada, dont les premières frappes en Syrie datent du mois d´avril 2015 (voir note de la BBC), ses nouvelles autorités élues ont procédé à mettre un terme aux bombardements en Syrie (ainsi qu´en Iraq) le 21 octobre dernier (voir  note  parue dans The Guardian).

Des auteurs canadiens se sont penchés sur la prétendue légalité de telles actions en Syrie, au regard du droit international et notamment de la jurisprudence de la Cour Internationale de Justice (CIJ), et sont parvenus à des conclusions qui, à notre avis, s´appliquent également aux bombardements réalisés par d´autres Etats en Syrie: “Aucun échappatoire n´est possible: les frappes du Canada en Syrie reposent sur des fondements juridique fragiles, ou tout du moins mouvants » / Traduction libre de l´auteur de la phrase « There is no escaping: the conclusion that Canada’s air strikes on Syria are on shaky, or at least shifting, legal ground” (Note 5).

Souvent tentés par l´originalité, les diplomates du Royaume-Uni ont expliqué pour leur part au Conseil de Sécurité que l´élimination physique de suspects d´appartenir à Daech en Iraq et en Syrie répond à l´exercice du droit de légitime défense collectif et individuel (voir texte de la lettre en date 7 septembre 2015): on attend de voir si l´élimination physique de suspects depuis un drone s´étendra également aux opérations menées sur le territoire britannique.

Concernant le fait que des citoyens français puissent être visés par certaines des frappes françaises en Syrie, comme celles qui semblent avoir eu lieu le mois dernier (voir note parue dans Le Monde), on lit dans un article récent paru dans Libération que : «Cibler spécifiquement des Français, au lieu de combattre la menace globale que représente l’Etat islamique, s’apparenterait à des exécutions extrajudiciaires». Concernant les risques de dérives de la lutte contre le terrorisme, le jour même où le Président déclarait la France “en guerre”, le Syndicat de la Magistrature indiquait (voir communiqué du 16/11/2015) que « /…/  le discours martial repris par l’exécutif et sa déclinaison juridique dans l’état d’urgence, décrété sur la base de la loi du 3 avril 1955, ne peuvent qu’inquiéter».

Ce discours martial et cette attitude ne doivent pas surprendre: le premier diplomate étranger à s´être rendu personnellement au Palais de l´Elysée suite aux attentats de Paris fut le Secrétaire d´Etat américain John Kerry, le 17 novembre; la première destination à l´étranger du Président François Hollande suite aux attentats fut la visite rendue le 24 novembre 2015 à son homologue à Washington.

Photo de l´artícle de presse intitulé: “Attentats: la France traque un ou deux fuyards et mobilise ses allies”.

Note 1: Cf. sur ce sujet TIGROUDJA H., « Quel(s) Droit(s) Applicable(s) à la « Guerre au Terrorisme » ?”, Vol. 48 Annuaire Français de Droit International (AFDI), (2002), pp. 81-102. Article complet disponible ici.

Note 2: Cf. FISCHER G., “Le bombardement par Israël d’un réacteur nucléaire irakien”, Vol. 27 AFDI (1981), pp. 147-167. Article complet disponible ici.

Note 3: Cf. AKANDE D. & MILANOVIC M., “The Constructive Ambiguity of the Security Council’s ISIS Resolution”, EJIL Talk, November 21, 2015. Note et débats entre spécialistes disponibles ici.

Note 4: On fera noter au lecteur, notamment latino-américain, que sur cette liste, seul figure le Panama comme Etat de l´Amérique Latine membre de la dite coalition contre ISIS.

Note 5: Cf. LESPERANCE R. J., «Canada’s Military Operations against ISIS in Iraq and Syria and the Law of Armed Conflict”, Vol. 10, Canadian International Lawyer (2015). Article complet disponible  ici .

—-

Texte de la résolution 2239 (2015) adoptée le 20 novembre 2015 par le Conseil de Sécurité:

Le Conseil de Sécurité,  Réaffirmant ses résolutions 1267 (1999), 1368 (2001), 1373 (2001), 1618 (2005), 1624 (2005), 2083 (2012), 2129 (2013), 2133 (2014), 2161 (2014), 2170 (2014), 2178 (2014), 2195 (2014), 2199 (2015), 2214 (2015) et les déclarations pertinentes de son président,

Réaffirmant les buts et principes de la Charte des Nations Unies, Réaffirmant son respect pour la souveraineté, l’intégrité territoriale, l’indépendance et l’unité de tous les États conformément aux buts et principes consacrés dans la Charte des Nations Unies,

Réaffirmant que le terrorisme, sous toutes ses formes et dans toutes ses manifestations, constitue une des menaces les plus graves contre la paix et la sécurité internationales et que tous les actes de terrorisme sont criminels et injustifiables, quels qu’en soient les motivations, le moment et les auteurs,

Considérant que, par son idéologie extrémiste violente, ses actes de terrorisme et les attaques violentes et généralisées qu’il continue de perpétrer systématiquement contre les civils, les atteintes flagrantes, systématiques et généralisées qu’il continue de porter aux droits de l’homme et ses violations du droit international humanitaire, notamment celles fondées sur des motifs religieux ou ethniques, son action d’éradication du patrimoine culturel et ses activités de trafic de biens culturels, mais aussi par le contrôle qu’il exerce sur une grande partie du territoire et des ressources naturelles de l’Iraq et de la Syrie et par son recrutement et la formation de combattants terroristes étrangers qui menacent toutes les régions et tous les États Membres, même ceux qui sont loin des zones de conflit, l’État islamique d’Iraq et du Levant (EIIL, également connu sous le nom de Daech) constitue une menace mondiale d’une gravité sans précédent contre la paix et la sécurité internationales,

Rappelant que le Front el-Nosra et tous les autres individus, groupes, entreprises et entités associés à Al-Qaida constituent également une menace contre la paix et la sécurité internationales,

Résolu à combattre par tous les moyens cette menace d’une gravité sans précédent contre la paix et la sécurité internationales,

Prenant note des lettres datées des 25 juin et 20 septembre 2014 émanant des autorités iraquiennes, dans lesquelles elles déclarent que Daech a établi un sanctuaire hors des frontières iraquiennes, qui constitue une menace directe pour la sécurité du peuple et du territoire iraquiens,

Réaffirmant que les États Membres doivent s’assurer que toute mesure prise pour lutter contre le terrorisme soit conforme à l’ensemble des obligations que leur impose le droit international, en particulier le droit international des droits de l’homme, le droit international des réfugiés et le droit international humanitaire,

Déclarant de nouveau que la situation continuera de se détériorer en l’absence d’un règlement politique du conflit syrien et soulignant qu’il importe que soient appliquées les dispositions du Communiqué de Genève en date du 30 juin 2012 qui est joint en annexe à sa résolution 2118 (2013) et de la Déclaration du Groupe international d’appui pour la Syrie, en date du 14 novembre 2015,

1. Condamne sans équivoque dans les termes les plus forts les épouvantables attentats terroristes qui ont été commis par l’EIIL, également connu sous le nom de Daech, le 26 juin 2015 à Sousse, le 10 octobre 2015 à Ankara, le 31 octobre 2015 au-dessus du Sinaï, le 12 novembre 2015 à Beyrouth et le 13 novembre 2015 à Paris, et tous les autres attentats commis par l’EIIL, également connu sous le nom de Daech, y compris les prises d’otage et les assassinats, note que cette organisation a la capacité et l’intention de perpétrer d’autres attentats et considère que tous ces actes de terrorisme constituent une menace contre la paix et la sécurité;

2. Exprime ses très sincères condoléances aux victimes et à leur famille, aux peuples et aux Gouvernements de la Tunisie, de la Turquie, de la Fédération de Russie, du Liban et de la France, ainsi qu’à tous les gouvernements dont les ressortissants ont été pris pour cibles lors des attentats susmentionnés et à toutes les autres victimes du terrorisme;

3. Condamne également dans les termes les plus forts les atteintes flagrantes, systématiques et généralisées aux droits de l’homme et les violations du droit international humanitaire, ainsi que les actes barbares de destruction et de pillage du patrimoine culturel que continue de commettre l’EIIL, également connu sous le nom de Daech;

4. Réaffirme que ceux qui commettent des actes terroristes, des violations du droit international humanitaire ou des atteintes aux droits de l’homme, ou qui sont d’une manière ou d’une autre responsables de ces actes ou violations, doivent en répondre;

5. Demande aux États Membres qui ont la capacité de le faire de prendre toutes les mesures nécessaires, conformément au droit international, en particulier à la Charte des Nations Unies, au droit international des droits de l’homme, au droit international des réfugiés et au droit international humanitaire, sur le territoire se trouvant sous le contrôle de l’EIIL, également connu sous le nom de Daech, en Syrie et en Irak, de redoubler d’efforts et de coordonner leur action en vue de prévenir et de mettre un terme aux actes de terrorisme commis en particulier par l’EIIL, également connu sous le nom de Daech, ainsi que par le Front el-Nosra et tous les autres individus, groupes, entreprises et entités associés à Al-Qaida, ainsi que les autres groupes terroristes qui ont été désignés comme tels par le Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations Unies et qui pourraient par la suite être considérés comme tels par le Groupe international d’appui pour la Syrie avec l’approbation du Conseil de sécurité, conformément à la Déclaration du Groupe en date du 14 novembre, et d’éliminer le sanctuaire qu’ils ont créé sur une grande partie des territoires de l’Iraq et de la Syrie;

6. Engage les États Membres à intensifier leurs efforts pour endiguer le flux de combattants terroristes étrangers qui se rendent en Iraq et en Syrie et empêcher et éliminer le financement du terrorisme, et prie instamment tous les États Membres de continuer d’appliquer intégralement les résolutions susmentionnées;

7. Exprime son intention d’actualiser rapidement la liste du Comité des sanctions créé par la résolution 1267 afin qu’elle tienne mieux compte de la menace que représente l’EIIL, également connu sous le nom de Daech;

8. Décide de rester saisi de la question.

 

(*) Professeur de Droit International Public, Faculté de Droit, Universidad de Costa Rica (UCR). Contact: nboeglin (a)gmail.com

- Advertisement -spot_img

More articles

- Advertisement -spot_img

Latest article