Par S.E. M. Slim Ghariani, Ambassadeur de Tunisie à La Haye
C’était en 1995, lors d’une épreuve écrite d’un examen pour la promotion à un grade supérieur dans ma carrière professionnelle, que je me suis imaginé entrain de présenter mes lettres de créances en qualité d’ambassadeur de la Tunisie auprès d’un pays dans lequel j’avais auparavant servi en tant que jeune diplomate. Comme il n’est pas de coutume qu’un diplomate soit affecté à deux reprises dans une même capitale, cette vision d’esprit et les éléments de composition qui l’ont étayée avaient été estimés originaux et jugés attrayants par le jury, ce qui m’a valu une bonne appréciation et contribué à mon accession au grade de Conseiller d’Ambassade.
Cette “prophétie” insolite vient providentiellement de se réaliser en 2021. Ayant travaillé aux Pays-Bas entre 1993 et 1999, tout au début de ma carrière diplomatique, je viens d’y retourner cette année en qualité d’Ambassadeur. Ma joie est donc immense d’avoir retrouvé mes premiers repères professionnels et un pays extraordinaire, géographiquement “petit” certes, mais “Grand” de par son histoire, ses spécificités singulières, le haut degré de civisme de sa population et ses performances économiques dignes des plus grandes nations développées.
Mes retrouvailles avec les Pays-Bas ravivent en moi de formidables souvenirs tant personnels que professionnels. De Scheveningen à Wassenaar, du Palais de la Paix à Madurodam, en profitant d’agréables moments de contemplation au musée van Gogh à Amsterdam, en passant par Lisse et le paradisiaque Keukenhof, ou en parcourant les rues de Maastricht, la ville phare de l’histoire européenne, je suis de nouveau comblé et ravi.
Mais mon attachement aux Pays-Bas ne date pas de nos jours actuels. Déjà, en 1997, j’ai eu l’honneur d’accompagner mon Ambassadeur de l’époque, nouvellement désigné auprès du Royaume, pour la cérémonie de remise de ses lettres de créances. Ce furent des moments mémorables que de traverser la ville en calèche vers le Palais Royal, vêtus de nos costumes traditionnels tunisiens, de croiser d’aimables néerlandais, émerveillés par le cortège, qui nous saluaient tout le long de l’itinéraire, et d’assister à l’interprétation de l’hymne national de mon pays par un orchestre de cuivres averti, sous les yeux d’un public curieux et amène.
Au cours de la même année, je me souviens d’un évènement extrêmement passionnant que les Néerlandais avaient attendu avec tant d’impatience, à savoir l’organisation de la mythique course de patinage sur glace naturelle qui traverse 11 villes frisonnes (de Elf steden tocht). J’ai découvert, à l’occasion, qu’il s’agit du marathon le plus long du genre dans le monde (près de 200 kms).
Un autre fait, encore plus ancien et non moins fortuit, m’avait en quelque sorte, très tôt, lié d’amitié avec les Pays-Bas. Tout petit et incroyablement fasciné par la radio, je m’amusais à sillonner virtuellement le monde entier en voyageant d’une station à l’autre, ce qui m’a amené à découvrir la “Voix des Pays-Bas” à travers le service international en langue arabe de la Radio hollandaise émettant de Hilversum. Beaucoup plus tard, en débarquant au Royaume, j’ai tenu à visiter cette ville qui a bien rayonné sur mon enfance et m’a fait savourer de multiples facettes de la culture néerlandaise.
En dehors de cette digression, il va sans dire qu’au niveau professionnel, La Haye m’avait d’abord donné l’occasion, tout au début de ma carrière, de découvrir le monde séduisant et tant captivant de l’activité diplomatique multilatérale. Le droit international et le désarmement, à travers notamment la Cour internationale de Justice, le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie et l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, naissante à l’époque, étaient pour moi des thèmes de prédilection. En 2021, je retrouve une scène encore plus riche, avec la présence de la Cour pénale internationale et l’activité de la Conférence de La Haye de droit international privé, à laquelle la Tunisie a adhéré en 2014.
Aujourd’hui, il m’est dévolu une mission encore plus grande. Outre le volet multilatéral, il m’échoit de contribuer au développement continu des relations bilatérales tuniso-néerlandaises qui sont, par ailleurs, vieilles dans le temps, politiquement excellentes et marquées par une coopération mutuellement bénéfique et aussi bien variée que fructueuse.
Là aussi, des souvenirs juvéniles me reviennent de la visite de feue S.M. la Reine mère Juliana et du Prince Bernhard en Tunisie en mai 1974, en réponse à la visite du Président tunisien Habib Bourguiba à La Haye en juillet 1966. Je me souviens notamment de la balade des deux Chefs d’Etat dans la voiture présidentielle décapotable à travers les rues de la capitale Tunis particulièrement ornées pour la circonstance, et du bain de foule qu’ils ont eu avec une population hospitalière sortie en allégresse pour accueillir l’invitée privilégiée de la Tunisie.
Dans les années soixante, un premier contingent de Tunisiens sont arrivés légalement pour travailler aux Pays-Bas. Aujourd’hui, environ 12 mille de nos compatriotes sont basés au Royaume. L’affluence des touristes néerlandais en Tunisie est allée crescendo, pour atteindre une moyenne de 70 mille visiteurs par an, avec même un pic de 100 mille touristes avant la pandémie de la Covid19. Une centaine d’entreprises néerlandaises, actives dans les secteurs du textile, de l’énergie, des services et de l’agriculture, sont installées en Tunisie depuis des années et exercent avec beaucoup de succès. Une coopération au développement est conjointement menée en Tunisie qui œuvre à la création d’emplois pour les jeunes notamment dans les contrées reculées du pays, et permet surtout de fixer les bénéficiaires dans leurs régions et de contrecarrer la migration clandestine et ce, dans le cadre d’une approche partagée par les deux pays visant à s’attaquer aux causes profondes de tel fléau dramatique.
Et je ne terminerai pas sans mentionner, bien sûr, l’appui inconditionnel des Pays-Bas à la Tunisie engagée, depuis sa révolution en 2011, sur la voie de la démocratisation et la consécration des droits de l’homme, tout comme le soutien généreux du Royaume à mon pays lors de la pandémie du coronavirus.