Thursday, November 21, 2024

Je tombe (presque) de l’avion

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DIPLOMAT MAGAZINE “For diplomats, by diplomats” Reaching out the world from the European Union First diplomatic publication based in The Netherlands. Founded by members of the diplomatic corps on June 19th, 2013. "Diplomat Magazine is inspiring diplomats, civil servants and academics to contribute to a free flow of ideas through an extremely rich diplomatic life, full of exclusive events and cultural exchanges, as well as by exposing profound ideas and political debates in our printed and online editions." Dr. Mayelinne De Lara, Publisher

Par Alexander Khodakov.

Pas plus que nous, l’ambassade à Sao-Tomé n’avait pas de liaison opérationnelle avec Moscou. Nos collègues devaient eux aussi se rendre régulièrement à Brazzaville pour y recevoir et envoyer leur courrier et échanger des messages avec le ministère. Oleg continue d’être mon hôte au moins deux fois par mois. Cela ne créait pas de problèmes particuliers. Pourtant, ce n’était valable que pour les visites régulières. Et si Brazzaville nous informait qu’ils avaient quelque chose de très urgent pour Sao-Tomé ? Il fallait élaborer une stratégie pour des cas pareils.

Oleg et moi nous mettons d’accord qu’au cas où Brazza nous ferait savoir qu’Oleg est attendu chez eux d’urgence, je louerai un charter et irai directement le chercher à Sao-Tomé. Je devrai essayer de le prévenir avec l’assistance de l’ambassade santoméenne, sinon donner un coup de fil à partir de l’aéroport de Sao-Tomé aussitôt après mon arrivée. C’était un arrangement plutôt théorique – l’éventualité d’y avoir recours un jour paraissait minime.

Eh bien, il a fallu mettre ce mécanisme en marche. Un jour je reçois un signal de Brazza : faites venir Agraniantz aussi vite que possible. J’appelle la compagnie aérienne qui fait des vols charter et réserve un aller-retour pour Sao-Tomé pour le jour suivant. Heureusement, l’ambassade de Sao-Tomé arrive à passer le message radio à son ministère qui à son tour appelle notre ambassade et l’informe de mon arrivée le lendemain.

À cette époque les vols charter – « taxis aériens » – étaient très populaires au Gabon. Les vols réguliers d’Air-Gabon ne desservaient que Port-Gentil et Franceville. Les petits avions – Cessna, Beachcraft, Bandeirante – qui prenaient de 5 à 8 passagers, pouvaient atterrir sur des pistes assez courtes. Le territoire gabonais était parsemé de pistes d’atterrissage, l’avion était le moyen principal de transport, car il y avait très peu de routes, surtout qui soient praticables à la saison des pluies. Seulement, ces petits avions n’étaient pas très fiables et des accidents avaient lieu 4-5 fois par an, et faisaient des victimes. Je devais aller à Sao-Tomé avec un Beachcraft, le trajet devait prendre une heure au-dessus de l’océan.

Le pilote m’attend déjà, je fais vite les formalités et m’installe dans l’avion. Comme je suis le seul passager et qu’il n’y a pas de co-pilote, je prends la place de celui-ci. Le pilote n’a pas d’objection et pour moi c’est une chance unique : je pourrai observer les appareils de bord et les manipulations du pilote. Celui-ci reçoit entretemps la permission de la tour de contrôle et on roule en direction de la piste. L’avion prend son envol, la vitesse croît vite, on décolle, on prend de l’altitude…

D’un coup la portière de mon côté s’ouvre ! Par un réflexe d’automobiliste j’attrape la poignée pour la fermer… elle ne se ferme pas.

La portière d’un avion de ce type ferme comme celle d’une voiture. On croirait que l’air qui vient à notre rencontre doit la pousser vers l’avion, mais le contraire se produit – la turbulence qu’elle cause la tire dans la direction opposée et, comme je tiens toujours la poignée, la sacrée portière me projette sur l’aile ! La ceinture de sécurité sur mon ventre ne me permet pas de glisser définitivement à l’extérieur, mais je reste suspendu entre mon siège et l’aile de l’avion. Entretemps l’avion perd sa stabilité et bascule dans l’air – il fait une sorte de danse macabre, le pilote hurle dans le micro ; je ne distingue pas les mots, mais il est évident qu’il demande un atterrissage d’urgence.

Heureusement, nous venons de nous envoler et ne sommes qu’à une altitude de 50-60 mètres au-dessus de la piste, qui a une longueur de trois mille mètres. L’atterrissage accordé, l’avion fait comme un plongeon et on se retrouve sur la piste ; le coup est assez violent, mes dents ont claqué si fort que je croyais les avoir cassées, le dos me fait mal aussi. Néanmoins, il faut y aller. Le pilote ferme enfin la portière, tourne le verrou, me regarde, prend sous le siège un morceau de ficelle et la fixe encore avec celui-ci. « Je vous jure que je l’avais bien fermée », – me dit-il, en haussant les épaules.

Nous retournons au point de départ et reprenons notre envol. Cette fois tout se passe bien. Au bout d’une heure nous atterrissons à Sao-Tomé, je vais chercher Oleg, on retourne à Libreville. Chemin faisant, je ne lui raconte rien.

Quand on finit de rouler, le pilote me regarde et dit : « Maintenant, imaginez-vous que cette putain de portière se soit ouverte quand on était à mi-chemin sur l’océan. » Je me l’imagine et me sens malade ; on va tout de suite chez moi boire un bon verre de vodka et je raconte à Oleg comment s’est passé mon voyage.

Information sur l’auteur:

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Alexander Khodakov

Né à Moscou en 1952, Alexander Khodakov fait ses études de droit  à  l’Institut de relations internationales de Moscou (MGIMO). Après trois ans à MGIMO, il fait un an d’études à l’université d’Alger. En 1974 il est recruté par le Ministère des affaires étrangères de l’URSS et part en poste au Gabon. Rentré à Moscou, il intègre le département juridique du Ministère. De 1985 à  1991 il travaille  à New York au sein de la mission permanente de l’URSS auprès des Nations unies. De retour à Moscou en 1991 il revient au département juridique, dont il devient directeur en 1994. Quatre ans plus tard il est nommé ambassadeur de Russie aux Pays-Bas et représentant permanent auprès de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC). En 2004 il passe au service de l’OIAC comme directeur des projets spéciaux et ensuite secrétaire des organes directifs. En 2011 il rejoint le greffe de la Cour pénale internationale et exerce pendant trois ans comme conseiller spécial pour les relations extérieures.

Depuis 2015 il vit  à La Haye, avec sa famille. Il a écrit Cuisine Diplomatique un vibrant récit des histoires inédites sur sa vie diplomatique.

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